M’Hamed DJELLID est enseignant à l’Université d’Oran. Autodidacte, il est à l’indépendance instituteur dans la région d’El Asnam, d’où il est originaire. Militant jusqu’en 1965à la JFLN , il est arrêté, torturé et détenu pendant 8 mois, lors de la répression de l’UNEA en 1972. Connu pour son travail de recherche sur le théâtre amateur, du point de vue de la sociologie de groupe, il amasse sur près de dix années une somme d’informations inestimables sur l’histoire de ces groupes, aujourd’hui absorbés par le théâtre professionnel. Son amitié avec Abdelkader ALLOULA, au-delà d’une expérience politique commune, est aussi une passion pour l’enracinement d’un théâtre universel dans la tradition populaire. Poète, peintre et bientôt un projet de roman quand le temps du militant du PAGS le lui permettait. Au temps de la légalité, tout est aujourd’hui possible. Avec sa curiosité enfantine, M’Hamed DJELLID, de jardin secret en jardin secret cultive une idée du Paradis. Une utopie, au bout de tout pour mesurer, à chaque fois, le chemin parcouru.
A.A. : Pour avoir été, avant tout, un enseignant, quel a été ton message fondamental ? Quelles satisfactions en as-tu tiré ?
M.D. : J’ai toujours essayé de former des hommes libres. Or, il faut bien dire que nous assistons aujourd’hui, sans réagir, à des pratiques de manipulation, de mutilation des enseignés, dans le système éducatif ; c’est une barbarie dont sont victimes des centaines de milliers d’Algériens.
Autre chose qui m’a toujours préoccupé, c’est la transparence de l’enseignement : je n’ai jamais caché mes opinions à mes étudiants, sans pour autant chercher à en faire des copies conformes. En un mot, je ne me suis jamais considéré comme un océan de savoir, mais plutôt un animateur aidant les intelligences à naître.
Mon expérience éducative la plus intense fut celle que j’ai vécue dans la prison à Oran, lors de mon arrestation en 1972. Ainsi, qu’à un degré moindre, celle du collège syndical (séminaires de formation). Il a fallu se battre pour séparer les mineurs des majeurs, les intégrer ensuite dans un système scolaire. Tout était à faire et d’abord former les enseignants, faire sortir les mineurs de l’enceinte de la prison. Le Centre de Rééducation de Gdyel est le fruit de ces revendications. Pour obtenir tout cela, il a fallu deux grèves de la faim.
A.A. : Revenons à l’Université durant les années 70. Il est un fait que cette période fut d’un haut niveau de débats. Mais en même temps, ne penses-tu pas qu’elle était surpolitisée ?
M.D. : Je suis d’accord avec la remarque. Mais il faut dire aussi qu’à cette période avaient lieu des transformations sociales avec des enjeux qui interpellaient l’Université et en particulier les Sciences sociales.
La déviation dont tu parles provient du comportement d’une partie des enseignants qui, au-delà de leur sincérité, intervenaient comme militants. D’où une certaine forme d’intolérance, avec des préjugés qu’on ressent encore aujourd’hui entre les acteurs de cette période-là.
Ceci dit, il faut rendre hommage à cette génération exceptionnelle d’étudiants en Sciences Sociales des années 75 à 80.
Par la suite, c’est la chute libre. L’Université va connaître l’entrée en force d’enseignants médiocres, recrutés sur la base de leur appartenance au FLN ou leur maîtrise de la langue arabe.
A.A. : Quel bilan ferais-tu de ton militantisme politique ?
M.D. : Je n’ai jamais quantifié mon militantisme qui est né d’abord sous une forme instinctive, autour d’un idéal : être un homme juste. Cet idéal, je l’ai d’abord cultivé dans l’enseignement qui a toujours été pour moi un sacerdoce.
Par la suite, je me suis orienté vers le terrain d’action que je privilégiais. Cette option a dérangé beaucoup de mes camarades qui se considéraient plus théoriciens et m’accusaient d’empirisme. Je n’ai pas eu des rapports faciles avec mes camarades. Mon militantisme s’est essentiellement porté vers le monde du travail, à travers le syndicalisme et particulièrement le secteur privé. Il faut rappeler que vers les années 73, il y avait vingt grèves dans le privé par semaine. L’intersyndicale dirigée par le PAGS de 1973 à 1977, rassemblait 80 syndicats dont une soixantaine était du secteur privé. D’ailleurs, ce que je reproche à mes camarades aujourd’hui, c’est que la récente intersyndicale n’a pas été engagée sur le terrain ouvrier le plus approprié, celui qui connaît la contradiction capital- travail, à savoir le secteur privé. Cette construction a donc manqué de souffle, ne partant pas d’un mouvement ouvrier, voulant plutôt ramener celui-ci vers des structures syndicales extérieures, autour de concepts très vagues.
A.A. : Tu sembles avoir eu un penchant pour la création artistique (poésie, peinture) que tu n’as pas beaucoup exploité. Pourquoi ?
M.D. : J’ai dû faire un choix et donner une priorité au militantisme syndical. De ce fait, j’ai étouffé pendant vingt ans ces penchants. Aujourd’hui, le parti étant entré dans la légalité, je me sens prédisposé à m’investir dans des activités artistiques.
A.A. : Sur un autre plan, comment évaluerais-tu l’état actuel du part ?
M.D. : Sur le plan organique, le parti a surtout activé en fonction de nécessités de survie. De là, tout un ensemble de mécanismes, d’habitudes et de réflexes dont il devra se départir, compte tenu des nouvelles conditions. C’est un problème que ne connaissent pas les nouveaux partis.
Il y a également un inconfort lié au discrédit, à l’échelle mondiale, du socialisme. C’est un facteur de démoralisation pour les militants forgés dans cet idéal. Ceci d’autant plus que la clandestinité n’a pas favorisé l’émergence d’une vie intellectuelle digne de ce nom au sein du parti et à même de l’adapter aux nouvelles situations.
A.A. : Mais est-ce que le PAGS n’a pas été atteint par le phénomène de la bureaucratie ?
M.D. : Ce mal provient des mécanismes figés par la clandestinité. Le problème aujourd’hui pour le parti, c’est de dépasser ce type de fonctionnement, eu égard aux exigences démocratiques et aussi aux catastrophes qui ont eu lieu dans les pays de l’Est. Ces exigences démocratiques sont aujourd’hui portées par la base. Cette dernière ne se laisse plus manœuvrer par les tentatives de cooptation, de « parachutage » de responsables. Elle veut une transparence et une collégialité dans les prises de décisions. C’est le cas d’Oran où un petit groupe dirigeait, avant que les habitudes ne soient remises en cause.
Entretien réalisé par Brahim HADJ SLIMANE
Publié dans Algérie-Actualités du 13 au 19 décembre 1990